exemple de mauvais raisonnement (XIV))

Publié le par Joseph Jacotot


On me dit que (toujours pour répondre à ce silence qui le fait frissonner) le fondateur, ne pouvant rien fonder où il est, a fait circuler parmi les initiés un petit roman assez gentil dont voici le sommaire : Il y aurait eut un grand maréchal prince d’Allemagne qui serait venu exprès pour voir le fait, et qui l’aurait vérifié sur ses enfans. Un autre jour, il se serait présenté chez le fondateur un personnage chargé, de la part du syndic de Genève, de prier le philosophe d’admettre à ses leçons un Genevois chargé d’apprendre ce qu’on appelle sa méthode pour la transplanter à Genève, afin de vérifier si cette plante, qui se meurt sur le sol natal, ne pourrait point prendre racine sur une terre étrangère. Le roman n’en dit pas davantage ; et pour cette fois, le fondateur a donné des preuves de sa forte tête ; des badauds croiront que le syndic a donné suite à cette ambassade (car c’est un ambassadeur qui a été chargé d’entamer ces négociations intellectuelles) ; et bien ! les badauds sont dans l’erreur. Le syndic s’est trop pressé de demander, il est vrai : il aurait dû prendre des informations sur les lieux, mais au moins il n’a pas fait la seconde faute ; il a planté là notre fondateur qui croyait fonder les fondements de l’enseignement universel sur les bords du lac. C’est pourtant dommage ! la belle position pour un fondement et pour une fondation ! pauvre fondateur ! quels cris de joie auront retenti à Genève quand on y aura appris la déconfiture de l’enseignement universel ! Déjà les explicateurs génevois ne montaient plus en chaire qu’en tremblant ; le despotisme explicateur a ressaisi le sceptre qui vacillait dans ses mains. Ces pourparlers entre le pouvoir et l’émancipation intellectuelle avaient jeté l’épouvante dans l’âme des républicains ; la liberté des esprits avait effarouché les citoyens d’une ville libre. Heureusement l’esclavage de la pensée leur est resté. Et quand ces esprits-là ont besoin d’un maître explicateur, quels esprits désormais oseraient prétendre à l’émancipation qui bouleverse toutes les lois intellectuelles. Lois éternelles ! lois universelles dont la sagesse est démontrée par leur seule immuabilité ! Ce caractère auguste distingue en effet la loi des explications de toutes les autres lois qui varient entre les peuples à cause de la variété des climats, comme l’a démontré la supériorité d’intelligence de Montesquieu, qu’on fait très bien de citer, quoi qu’en dise l’ennemi des citations.
 

Je répondrais que ces dit-on m’on fait rire de bon cœur ; que les espérances déçues du fondateur m’ont amusé ; j’aurais voulu le voir partir pour Genève avec un cortège d’émancipateurs flamands destinés à morigéner les explicateurs genevois, puis revenir à Louvain comme le renard de La Fontaine (la queue entre les jambes). Mais j’aurais encore été plus curieux de vérifier si les petits émancipés flamands écrivent en français aussi bien, ou mieux, ou plus mal que les écoliers qui tournent à la longe dans un gymnase genevois ; car voilà la question ; comment se fait-il que nous en sortions toujours ?



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L
Bien évidemment, la réponse à la dernière question de Jacotot est"la vie"Mais encore faut-il y croire !
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