Joseph Jacotot E. U. Langue Maternelle Dixième Leçon Ex. 5 - 1

Publié le par Joseph Jacotot


Page 52 à 60



Cinquième exercice
Première partie.



    Le maître donne des sujets de composition.

    Par exemple : imitez le premier paragraphe.

    L’élève compose et remet sa copie avant de sortir. Le lendemain il lit son ouvrage.


    «  Philoctète ne pouvait se consoler d’avoir dévoilé le secret de la mort du grand Alcide, qu’il avait juré de ne jamais découvrir. Dans sa douleur, il se trouvait tellement plus malheureux par le ressouvenir de son parjure, que de l’abandon si inhumain des Grecs, de la trahison d’Ulysse, et de l’horrible souffrance de sa plaie. Son antre retentissait jour et nuit de ses gémissemens. Dans le transport de sa douleur, ses hurlemens éloignaient loin de lui les bêtes farouches qui avaient habité avant lui cette affreuse caverne. Souvent, dans les assoupissemens qui suivaient ses fréquens accès de douleur, il voyait en songe l’éclatant Olympe, où tous les Dieux étaient assemblés : Là, il voyait aussi le grand Alcide entouré de rayons de gloire, assis près du trône de Jupiter. Mais ces images de félicité, loin de modérer sa douleur, ne faisaient que lui rappeler le triste souvenir de son parjure. Souvent il demeurait étendu sur le rivage de la mer, et ses regards étaient sans cesse tournés vers le côté où les vaisseaux des rois grecs, fendant les ondes, avaient disparu à ses yeux. »


Le maître : Pourquoi avez-vous dit : d’avoir dévoilé le secret de la mort du grand Alcide ?

L’élève : C’est un fait de l’histoire de Philoctète.


Le maître : A quoi servent les imitations ?


L’élève : A prendre l’habitude d’employer les expressions françaises dans leur véritable acception.


Le maître : Qu’entendez-vous par expression ?


L’élève : La réunion de deux mots formant un sens.


Le maître : L’expression  ces images de félicité est-elle dans Télémaque ?


L’élève : Dans l’endroit où Télémaque voit Ulysse en songe.


Le maître : Est-ce le même sentiment ?


L’élève : Oui, car Télémaque ainsi que Philoctète, est attristé par ses songes.


Le maître : Ne pourrait-on pas employer cette expression pour rendre un autre sentiment ?


L’élève : Je n’en sais rien ; je ne l’ai pas vu.


    L’artifice oratoire que nous appelons répétition, se trouve partout. Mais il y a une chose qu’il faut faire remarquer à l’élève : ce sont les faits divers qui servent de base aux différentes formes de réflexion que l’orateur a répétées.
Calypso ne pouvait se consoler du départ d’Ulysse. Dès qu’on sait le français, on est capable de répéter, sous mille formes différentes qu’on a apprises dans les livres, ne pouvait se consoler, parce que tout le monde sait quel est l’état d’une personne qui ne peut se consoler ; mais on ne sait pas pour cela répéter l’idée Calypso, parce que tout le monde ne connaît pas la déesse Calypso. Fénelon le savait ; il copie ou imite les faits qu’il a lus ; les voici : Calypso était immortelle ; elle habitait une grotte, elle aimait le chant ( si on ne suppose cet antécédent, sa grotte ne résonnait plus de son chant serait une réflexion niaise et sans base) ; elle était servie par des nymphes ; un  printemps éternel bordait son île de gazons fleuris : voilà les matériaux propres au sujet, et qui le distinguent de tout autre.

C’est ce qui fait que rien n’est dans rien.

    La transformation successive de la réflexion de l’orateur, sans ces faits différens, ne serait qu’un lieu commun qui doit se trouver toutes les fois qu’il s’agit de regrets, parce que tout est dans tout sous le rapport du sentiment.

    Voilà le sens de Tout est dans tout. Cela signifie : exercez votre élève à comparer toutes les peintures du même sentiment, et à voir en quoi consistent la ressemblance et la différence.

    Cet axiôme, Tout est dans tout, est la base, non pas de notre théorie ( nous n’avons pas de théorie) mais des exercices que l’on doit faire faire à l’élève. Qu’il sache quelque chose, qu’il le répète perpétuellement, et qu’il y rapporte tout le reste.

    On a demandé si les Mathématiques étaient dans Télémaque ( car que ne demande-t-on pas ?) Réponse : Tout est dans tout, Rien n’est dans rien, disons-nous dans notre style barbare. Mais, tout en riant de nos propres locutions, nous nous habituons à rechercher les ressemblances et les différences.

1° Les Mathématiques sont une langue.
2° Dans ce que je viens de dire, la même réflexion s’offre sous plusieurs formes différentes ; en mathématiques c’est le même artifice, c’est la même marche de l’esprit humain : on y emploie les transformations. Ainsi, au lieu de nous présenter trois sous la forme 3, on le transforme en 3+2-2.

    Le but des transformations de Fénelon est de communiquer un sentiment qui ne serait pas transmis par une seule phrase. Celui du mathématicien est de montrer ce qu’on ne voit pas quand on exprime trois par 3, et ce qui saute aux yeux quand on l’écrit 3+2-2.

3° La douleur est un  sujet à considérer sous une infinité de faces ; mais ce sujet immense se trouve restreint par le dessein qu’on a de parler de la douleur de Calypso. De même, trois peut s’écrire 3, et prendre une infinité de transformations, mais, si on demande  que deviendra trois si on en ôte  moins deux, je me trouve restreint par la question même. C’est comme si on me disait : employez le signe –2 à écrire trois, puis effacez le, et vous verrez ce qui restera. Ce serait un livre utile que celui des transformations en mathématiques, et personne ne serait trop bon pour cela. Les géomètres me comprendront bien :

Tout est dans tout.


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