Joseph Jacotot E. U. Langue Maternelle Treizième Leçon

Publié le par Joseph Jacotot





Pages 126 à 129




Treizième leçon




    Ce que nous appelons synonymes, c’est-à-dire les comparaisons, voilà l’unique exercice de l’Enseignement universel : regardez et comparez toute votre vie, vous ne verrez jamais tout. Deux choses vous paraissent-elles semblables au premier coup d’oeil : cherchez-en les différences; sont-elles différentes à vos yeux : Tout est dans tout, voyez les ressemblances. Par exemple, vous semble-t-il qu’une tragédie et une comédie ne se ressemblent point? Regardez : c’est la même chose; ici, ce sont des gens passionnés que vous ne craignez point, et dont la sottise vous paraît ridicule par cette raison. Là, ce sont des gens passionnés dont les excès vous font trembler, et qui, par conséquent, vous imposent. L’animal éprouve des sentiments différens; mais la raison, qui n’est jamais émue, en voit qu’un fou dans Orosmane aussi bien que dans le Misanthrope. Orosmane en fureur me fait trembler quand il s’écrie :


Que la terreur habite aux portes du palais.

    Jamais il ne reverra Zaïre, dit-il, et une minute après il est à ses pieds. Alceste dit aussi que jamais il ne reverra Céphise. Celui-ci me fait rire; mais je suis risible moi-même si je ne vois pas qu’Orosmane n’est pas moins ridicule. Une tragédie est une comédie aux yeux de la raison. Que de choses à imiter dans les tragédies quand on veut faire une comédie, et réciproquement !

    Nous savons tout cela, dira-t-on. Mais, messieurs, qui vous a dit que vous ne le saviez pas? Ai-je jamais soutenu que je venais révéler au genre humain quelque grande vérité inconnue jusqu’à ce jour? Si cela était neuf, le comprendrait-on? L’Enseignement universel est basé sur ce que tout le monde fait, sur ce que nous faisons tous les jours.

- Age quod agis, dis-je à mon élève; faites aujourd’hui, demain, toujours, ce que vous faisiez hier, vous étiez dans la route, ne vous en écartez pas, continuez votre éducation comme vous l’avez commencée; achevez l’étude de votre langue par le procédé que vous avez suivi jusqu’à ce jour,  n’en changez pas, vous n’avez pas appris dans les rudimens ce que vous savez; ne perdez point de temps; n’écoutez point ces gens qui veulent vous apprendre ce que vous apprendrez seul : ils vous retardent.

- Mais j’ai confiance en leurs principes


- Suivez-les donc. Et vous ? dis-je à un autre.


- Moi, je suis pressé d’arriver, et je n’ai pas sept ans à ma disposition. Montrez-moi le chemin, s’il vous plait.


    Je le lui indique, et il arrive. Voilà le fait. Je n’ai jamais dit autre chose; j’avoue même qu’à la rigueur il n’avait pas besoin de moi. L’Enseignement universel n’est rien; ce n’est pas une nouveauté.

C’est l’ancienne méthode qui est une nouveauté, une véritable découverte, dont les perfectionnements successifs sont autant  de lieux de repos qui alongent la route de plus en plus. On s’évertue à la perfectionner, et, chaque jour, on réussit à rendre l’étude plus fastidieuse. Pour savoir la règle des participes toute seule, il faut dévorer des volumes. L’infini est là, sans doute, comme partout; je le sais bien; mais tous ces principes sont-ils le commencement ou la fin du chemin le plus court ? Voilà la question, et j’affirme qu’elle est résolue, non pas par moi, mais par la nature. J’imite sa marche, et les autres la changent : il faut bien que cela soit ainsi, puisque nous arrivons six fois, sept fois, huit fois plus tôt qu’eux.



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