Benjamin Laroche: Méthode Jacotot en présence de l'Enseignement Universitaire -16 -
L'autre moyen employé par les méthodes universitaires, ce sont les récompenses. Abordons aussi ce-sujet délicat. Quand un élève a bien travaillé, s'est distingué parmi ses condiciples, que faites-vous? A la fin de l'année, vous lui décernez des récompenses ; vous lui donnez des prix.
Voyons, raisonnons; quel est votre but en agissant ainsi? La récompense que vous décernez se borne-t-elle à constater un fait ? Alors de quelle utilité est cette constatation? Quel avantage, quelle utilité véritable à dire à cet élève : Tu en sais plus que tes camarades? Aux autres: il est votre supérieur à tous?
Assurément il serait difficile de trouver un moyen plus propre que celui-là à rendre vain et fier le jeune homme le plus modeste. C'est encore un fort bon moyen d'humilier ses condisciples, en leur offrant le spectacle d'une supériorité à laquelle ils n'ont pu parvenir. Craint-on donc que la vanité et l'orgueil ne se développent pas assez promptement dans la jeunesse, qu'on emploie ces excitans funestes? Mais enfin, me dira-t-on, trouvez un autre moyen de constater la supériorité. Et quelle nécessité si grande trouvez-vous donc à cette statistique des supériorités intellectuelles ? Ces supériorités en subsisteront-elles moins, pour n'avoir pas été constatées ?
Et puis, qui vous a dit que vous avez bien jugé ? Est-ce une copie qui doit décider de la capacité d'un élève? Mais vous-mêmes, voudriez-vous être jugés sur une production isolée ? L'élève qui a mal fait cette copie fatale, sait peut-être mille choses dont cette copie ne parle pas : il n'a pas été supérieur, parce qu'il n'a pas trouvé l'occasion de développer sa supériorité. Mais en supposant même que l'on tînt, jour par jour, un compte exact des progrès de chaque élève et du résultat de ses travaux, que gagnerez-vous à constater et à proclamer à la fin de l'année, par une distribution de prix, des supériorités que chaque élève connaît d'avance aussi bien que vous P Le but que vous annoncez vous proposer dans ces solennités n'est donc point un but juste et utile.
Vous continuez et vous dites : Si la constatation des supériorités n'apprend rien à l'élève couronné, ni à ses condisciples, c'est du moins une récompense digne d'exciter l'émulation, et sous ce rapport, on atteint un but raisonnable.
Ici s'élève une question grave, l'une des plus importantes que la grande question de l'éducation puisse soulever. Abordons-la avec franchise, comme nous avons abordé toutes les autres. Nous voulons parler du principe même de l'émulation. Ce principe, jusque aujourd'hui, a fait la base de l'instruction publique. En quoi consiste l'émulation? A se surpasser les uns les autres.
Ainsi, les supériorités que l'émulation tend à produire, sont des supériorités relatives, jamais absolues. Je ne veux point être savant; je veux seulement être plus savant que mes rivaux. Que m'importe d'être riche, si mes voisins le sont plus que moi? Je veux être plus riche qu'eux. César disait : « II vaut mieux être le premier de ce village que le second à Rome. » C'est le langage de l'ambition : l'émulation n'est pas autre chose.
Craint-on qu'elle n'ait pas assez de prise sur les hommes, qu'on s'empresse de leur inoculer cette passion funeste dès l'âge le plus tendre? Notre ordre social tout entier ne tend-il pas à faire de l'émulation la principale passion des hommes? Cette passion n'enfante-t-elle pas assez de maux? N'est-ce pas elle qui produit la plupart des malheurs et des désordres de la société ? On vante l'émulation : mais n'y en a-t-il que de louables et de belles? et puis, quelles sont les grandes choses que l'émulation ne tende à ternir ? Qui voudra donner le nom de vertu à un acte qui n'a eu pour but que de conquérir les applaudissemens des hommes? N'est-ce qu'en faisant du bien aux hommes qu'on en est applaudi? N'est-ce pas en leur faisant du mal, au contraire, qu'on commande leurs applaudissemens? Les noms des inventeurs des arts utiles sont ensevelis dans l'oubli. L'histoire a recueilli avec un soin minutieux les noms des ravageurs de provinces. Lorsque la gloire est le but principal que vous proposez au talent, ne craignez-vous point que le talent ne veuille l'obtenir à tout prix? et parmi les moyens d'arriver à la gloire, n'y en a-t-il que de bons ?
Je sais que les imperfections et les vices de notre ordre social justifient cette fatale direction donnée aux travaux et aux études de la jeunesse ; mais n'est-il pas temps enfin de s'enquérir si cette direction est la meilleure qu'il soit possible de donner?
Pourquoi ne chercherait-on pas, au contraire, à fonder sur une base plus salutaire le système de notre éducation publique? Pourquoi n'apprendrait-on pas de bonne heure à la génération naissante à faire le bien pour lui-même, à aimer la science, la religion, la vertu pour elles-mêmes, et indépendamment des applaudissemens qu'elles peuvent attirer à celui qui les possède? Etait-ce afin que la Grèce le proclamât le plus sage des hommes, que Socrate enseignait et pratiquait la vertu? C'eût été donner à de grandes choses de bien petits motifs.
Voyons, raisonnons; quel est votre but en agissant ainsi? La récompense que vous décernez se borne-t-elle à constater un fait ? Alors de quelle utilité est cette constatation? Quel avantage, quelle utilité véritable à dire à cet élève : Tu en sais plus que tes camarades? Aux autres: il est votre supérieur à tous?
Assurément il serait difficile de trouver un moyen plus propre que celui-là à rendre vain et fier le jeune homme le plus modeste. C'est encore un fort bon moyen d'humilier ses condisciples, en leur offrant le spectacle d'une supériorité à laquelle ils n'ont pu parvenir. Craint-on donc que la vanité et l'orgueil ne se développent pas assez promptement dans la jeunesse, qu'on emploie ces excitans funestes? Mais enfin, me dira-t-on, trouvez un autre moyen de constater la supériorité. Et quelle nécessité si grande trouvez-vous donc à cette statistique des supériorités intellectuelles ? Ces supériorités en subsisteront-elles moins, pour n'avoir pas été constatées ?
Et puis, qui vous a dit que vous avez bien jugé ? Est-ce une copie qui doit décider de la capacité d'un élève? Mais vous-mêmes, voudriez-vous être jugés sur une production isolée ? L'élève qui a mal fait cette copie fatale, sait peut-être mille choses dont cette copie ne parle pas : il n'a pas été supérieur, parce qu'il n'a pas trouvé l'occasion de développer sa supériorité. Mais en supposant même que l'on tînt, jour par jour, un compte exact des progrès de chaque élève et du résultat de ses travaux, que gagnerez-vous à constater et à proclamer à la fin de l'année, par une distribution de prix, des supériorités que chaque élève connaît d'avance aussi bien que vous P Le but que vous annoncez vous proposer dans ces solennités n'est donc point un but juste et utile.
Vous continuez et vous dites : Si la constatation des supériorités n'apprend rien à l'élève couronné, ni à ses condisciples, c'est du moins une récompense digne d'exciter l'émulation, et sous ce rapport, on atteint un but raisonnable.
Ici s'élève une question grave, l'une des plus importantes que la grande question de l'éducation puisse soulever. Abordons-la avec franchise, comme nous avons abordé toutes les autres. Nous voulons parler du principe même de l'émulation. Ce principe, jusque aujourd'hui, a fait la base de l'instruction publique. En quoi consiste l'émulation? A se surpasser les uns les autres.
Ainsi, les supériorités que l'émulation tend à produire, sont des supériorités relatives, jamais absolues. Je ne veux point être savant; je veux seulement être plus savant que mes rivaux. Que m'importe d'être riche, si mes voisins le sont plus que moi? Je veux être plus riche qu'eux. César disait : « II vaut mieux être le premier de ce village que le second à Rome. » C'est le langage de l'ambition : l'émulation n'est pas autre chose.
Craint-on qu'elle n'ait pas assez de prise sur les hommes, qu'on s'empresse de leur inoculer cette passion funeste dès l'âge le plus tendre? Notre ordre social tout entier ne tend-il pas à faire de l'émulation la principale passion des hommes? Cette passion n'enfante-t-elle pas assez de maux? N'est-ce pas elle qui produit la plupart des malheurs et des désordres de la société ? On vante l'émulation : mais n'y en a-t-il que de louables et de belles? et puis, quelles sont les grandes choses que l'émulation ne tende à ternir ? Qui voudra donner le nom de vertu à un acte qui n'a eu pour but que de conquérir les applaudissemens des hommes? N'est-ce qu'en faisant du bien aux hommes qu'on en est applaudi? N'est-ce pas en leur faisant du mal, au contraire, qu'on commande leurs applaudissemens? Les noms des inventeurs des arts utiles sont ensevelis dans l'oubli. L'histoire a recueilli avec un soin minutieux les noms des ravageurs de provinces. Lorsque la gloire est le but principal que vous proposez au talent, ne craignez-vous point que le talent ne veuille l'obtenir à tout prix? et parmi les moyens d'arriver à la gloire, n'y en a-t-il que de bons ?
Je sais que les imperfections et les vices de notre ordre social justifient cette fatale direction donnée aux travaux et aux études de la jeunesse ; mais n'est-il pas temps enfin de s'enquérir si cette direction est la meilleure qu'il soit possible de donner?
Pourquoi ne chercherait-on pas, au contraire, à fonder sur une base plus salutaire le système de notre éducation publique? Pourquoi n'apprendrait-on pas de bonne heure à la génération naissante à faire le bien pour lui-même, à aimer la science, la religion, la vertu pour elles-mêmes, et indépendamment des applaudissemens qu'elles peuvent attirer à celui qui les possède? Etait-ce afin que la Grèce le proclamât le plus sage des hommes, que Socrate enseignait et pratiquait la vertu? C'eût été donner à de grandes choses de bien petits motifs.