Joseph Jacotot - E U: Mathématiques - VOILA LE FAIT (1)

Publié le par Joseph Jacotot

(les lettres qui débutent l'ouvrage sont laissée un peu en suspend. Je pense, peut-être à tort ? Que le lecteur avide de connaître l'oeuvre de Joseph Jacotot souhaite entrer un peu dans le vif du sujet et passe donc à la suite du dialogue de l'auteur avec ses élèves.
Ce que sous-entend "VOILA LE FAIT" se trouve donc dans ces courriers qui mettent en évidence, du point de vue de l'inventeur de la méthode, la difficulté à mettre en place un enseignement incompatible avec les théories et lois qui régissent l'intelligence de l'homme.
)


VOILA LE FAIT



Voilà le fait, mes chers disciples. Croirez-vous maintenant à mes paroles ?

L’émancipation intellectuelle n’est point à l’usage d’un ordre social.

Où trouverez-vous un meilleur roi ?

Quel est le peuple plus avide d’instruction que les Belges ? Dans quel pays les institutions sont-elles plus libérales ? Chez quelle nation la voix de la philosophie sera-t-elle écoutée plus favorablement ?

Or, vous savez que les peuples se ressemblent comme les individus ; même nature, même intelligence et même prétention à la supériorité intellectuelle.

Renoncez donc au projet ridicule de réformer le genre humain. Par toute la terre le préjugé de l’inégalité des intelligences a présidé à la rédaction des lois sur l’instruction. Partout le préjugé de la nécessité de la science dans le maître a dicté ses réglemens.

J’ignore le hollandais : vous savez que mes les élèves l’apprennent mieux et plus vite qu’avec les professeurs les plus instruits du royaume ; eh bien ! si je demandais un diplôme, les dépositaires de l’autorité me le refuseraient. Il devraient même me le refuser ; autrement ils manqueraient à leur devoir ; ils violeraient les règlemens.

C’est pour obéir à leur devoir que les fonctionnaires se sont opposés, avec une ardeur (énergie) toujours croissante, à la propagation du bienfait.

Sa Majesté désire cette propagation. Sa Majesté me l’a dit, mais la loi, mais les préjugés qui l’on dictée s’y opposent. Si j’étais chef de l’instruction publique quelque part, et si j’avais le préjugé des explications, je poursuivrais, je persécuterais, je tourmenterais les maîtres ignorans, je les forcerais à subir des examens, sachant bien qu’ils en sont incapables, j’agirais enfin au nom de la loi et je la ferais exécuter jusqu’à ce qu’elle soit rapportée.

Telle a été, telle devait être la conduite des autorités dans le royaume des Pays-Bas.

Je combats leurs préjugés, mais je ne désapprouve pas leur conduite que j’ai dû faire connaître au roi qui m’interrogeait.

Pour dégager ces fonctionnaires de leur devoir, dont l’accomplissement nuisait nécessairement à la propagation désirée, il eût donc fallu, avant tout, changer les lois.

D’un autre côté, où trouverez-vous, sur toute la terre, un prince assez imprudent pour faire une loi (sur) de l’égalité des intelligences ?

Quelle clameur ! Les entendez-vous ? Cela est impossible et pourtant cela est nécessaire. Jugez si j’avais raison de dire : L’établissement de l’enseignement universel est impossible avec les lois existantes ; donc impossible dans l’ordre social qui ne peut point changer ces lois. On ne peut que rendre les établissemens existans mille fois plus utiles qu’ils ne le sont, comme je l’ai dit dans mon premier volume. Croyez-moi donc ; laissez les chimères et faites du bien aux individus.

Dès que votre élève saura Télémaque, par exemple, qu’il vous montre (en parlant) l’art de Fénelon dans la composition de cet ouvrage.

Qu’il y rapporte (en parlant) les autres productions de l’art en littérature, par exemple les tragédies, etc. Que l’élève fasse voir (en parlant) si l’artiste n’est pas toujours dirigé par le même esprit, quels que soient sont but et ses moyens, quels que soient les faits et les circonstances où il se trouve.

L’élève ayant une légère idée des livres de littérature, étudiera un livre de sciences ; il vous montrera que ces livres, comme les autres, sont des ouvrages d’art ; il fera voir, en parlant et en écrivant, comment dans ces livres, il s’agit toujours ou de raconter exactement des faits, ou de les rapporter les uns aux autres, ce qu’on appelle expliquer ; l’élève montrera (qu’il s’agit du) que c’est le même art que celui de Fénelon.

Votre élève étudiera donc les livres de sciences, comme toute autre production de l’art humain.

Vérifiez, direz-vous, si les faits sont exactement écrits dans la langue de convention du savant. Vérifiez l’explication, car l’explication est l’ouvrage d’un homme, les faits viennent d’une autre main.

Si le public n’est pas capable de faire ce que je dis, toutes les préfaces de tous les livres, où l’on se soumet modestement au jugement du public, sont des monumens de folie, ou de bassesse, ou d’imposture.

Tel est le but de l'exercice Tout est dans tout.

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