Joseph Jacotot E. U. Langue Maternelle : Histoire - 3

Publié le par Joseph Jacotot






Pages 163 à 166

DE L'HISTOIRE

Troisième partie


IV ème FAIT.

  
    Nemrod,  homme farouche, devient par son humeur violente, le premier des conquérans. Il était roi de Babylone où les Chaldéens observèrent les astres, comme les Egyptiens les observaient à Thèbes et à Memphis.


Vérifiez.


    On parle de Thèbes et de Memphis dans notre livre. Les Tyriens, dit Narbal, observèrent les astres, loin de la terre, suivant la science des Egyptiens et des Babyloniens. Enfin, Adraste était conquérant, et il avait une humeur violente.
Que l’humeur violente soit le caractère distinctif d’un conquérant, cela n’est pas difficile à voir.

    Cependant qu’un de vos élèves ne fasse point une objection que sa paresse pourrait lui suggérer : Si tout est dans mon livre, et si mon livre est en moi, à quoi bon tout cet appareil ? Je vais m’enfermer dans moi-même, je m’envelopperai dans ma science, et je réfléchirai bien tout seul, puisque j’ai de l’intelligence comme un autre.


    J’avoue que cet exercice est le principal de tous. Il est la base de toutes les études; il faut y revenir sans cesse. Un quart d’heure de méditations sur vos lectures, vaut mieux que plusieurs mois employés à lire. Mais une méditation éternelle ne vous apprendra pas un seul mot dont vous avez besoin  dans la société des hommes. Vous ne pourrez parler d’historie, de géographie, de mathématiques, etc., à personne. Tous ces faits, toutes ces langues différentes vous seront inconnues et vous serez classé d’après le degré de votre ignorance.     Sans doute, cette objection n’est qu’un prétexte : celui qui la fait le sent bien; aussi je doute qu’il soit satisfait de la réponse. On n’avoue jamais sa conviction quand on a intérêt de n’être pas convaincu. Laissez ce paresseux quelques temps à lui-même; il sentira bientôt les inconvéniens de cette contemplation taciturne.

    Les Anglais, dit-on, sont pensans, et les Français légers. Je n’ai jamais compris cela. Si la chose est vraie, les principes de l’Enseignement universel sont faux; car je crois qu’un livre anglais où se trouve la peinture des mœurs anglaises, n’est ni plus ni moins instructif qu’un livre français.

     Le peuple anglais ou le peuple français, c’est la même chose : ce sont deux êtres abstraits. Je ne sais pas ce que c’est qu’un peuple qui a tort, ou un peuple qui a raison. Un  Anglais, un Français ont la même intelligence : chacun d’eux en fait l’usage qui lui convient. Vertus, vices, défauts, bonnes qualités, tout est égal de part et d’autre.

    La différence est dans la volonté, non pas dans la nature, ni dans le climat, ni dans le gouvernement : Homo sum, humani nihil a me alienum puto, voilà la règle commune.

    Mais n’y a-t-il pas des défauts pire que d’autres ? Question de rhétorique. Un Français parle quand il devrait se taire, et un Anglais se tait quand il devrait parler. Ce serait un discours plaisant que celui où l’on discuterait de quel côté est la raison. Il y a de grands hommes en Angleterre, en France, partout. Il y en a de petits dans tous les coins du globe : sans doute ils ne sont pas difficiles à trouver, mais ils ne sont ainsi que parce que cela leur convient. Quant à moi, je lis l’histoire de France dans l’histoire d’ Angleterre. Ceux qui croient au climat peuvent, encore une fois, se dispenser de continuer : la vérification de toutes les histoires sur une seule n’est pas à leur usage.


Qu’ils apprennent tout, c’est le bon moyen de ne rien savoir.


Suite



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L
Au détour d'un passage par ailleurs riche en enseignement à propos du savoir et de l'ignorance, Joseph Jacotot donne une merveilleuse non définition de la notion de peuple.Plus de cent ans après Howard Zin écrivait (histoire populaire des Etats Unis d'Amérique) il n'y a pas de peuple américainLes anti-américains devraient s'en convaincre pour le bien de tous
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